Rapport d’Information | Projet de loi pour une République numérique | Égalité des chances entre les hommes et les femmes
15 décembre 2015 – Le numérique et ses usages sont au cœur d’un mouvement de transformation profonde de la société et de l’économie, qui concerne tous les secteurs d’activité et représenterait environ le quart de la croissance française (le soutien à l’économie numérique et à l’innovation, rapport de l’Inspection générale des finances, 2012).
Comme l’a souligné le Conseil national du numérique (CNNum) (ambition numérique. Pour une politique française et européenne de la transition numérique, rapport du Conseil national numérique (CNNum), rapport remis au Premier ministre en juin 2015), « plus que jamais les technophobes et les technolâtres doivent être renvoyés dos à dos et il s’agit de concevoir le numérique comme ce qu’il est : un facteur de bouleversements importants auxquels il faut donner un sens, une direction et des valeurs. La société numérique n’est pas une force qui va, mais procède au contraire d’un ensemble de choix individuels, mais aussi et surtout collectifs ».
Il s’agit dès lors de saisir pleinement toutes les opportunités créées par la révolution digitale, en termes de progrès social et économique, de mesurer et d’accompagner les changements à l’œuvre – autrement dit, anticiper pour ne pas subir les conséquences des évolutions technologiques, et dessiner une société conforme à ses valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.
En juin 2014, dans le cadre d’une audition de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, l’importance de ces enjeux avait été soulignée par les rapporteures de la mission d’information sur l’économie numérique française, Mmes Corinne Erhel et Laure de la Raudière, qui avaient conduit d’importants travaux sur ce sujet pendant plus d’un an. À cette occasion, la question de l’impact du numérique sur l’emploi des femmes avait notamment été soulevée.
Suite notamment à la grande concertation nationale sur le numérique, qui a donné lieu à un rapport remis au Premier ministre à la fin du premier semestre 2015, la délégation a souhaité approfondir la réflexion sur ces questions, en interrogeant l’impact de la transformation numérique sous le prisme du genre.
En particulier, comment faire en sorte que les femmes tirent pleinement parti de cette révolution et puissent accéder à des emplois de qualité, alors qu’aujourd’hui on compterait un peu moins de 28 % de femmes dans les métiers du numérique au sens large ? Quel rôle le système éducatif peut-il jouer à cet égard ? Alors que le numérique entraîne la destruction de certains emplois, dans quelle mesure les métiers majoritairement exercés par des femmes sont-ils plus particulièrement concernés ? Au-delà de l’emploi, le numérique bouleverse aussi l’organisation et les conditions de travail, tandis que les besoins d’évolution des compétences des salarié.e.s induits par le numérique sont considérables. Par ailleurs, quelle est la place des femmes dans le cyberespace et comment prévenir et lutter contre les cyberviolences sexistes et sexuelles ?
Plus généralement, dans quelle mesure et à quelles conditions le numérique peut-il être un « formidable outil d’émancipation pour les femmes », comme l’a évoqué la secrétaire d’État chargée du Numérique, Mme Axelle Lemaire (dans un entretien accordé au journal Le Figaro Madame, paru le 12 mars 2015) ?
La Délégation a désigné sa rapporteure d’information sur les femmes et le numérique le 6 octobre 2015, et demandé ultérieurement à être saisie du projet de loi pour une République numérique, conformément aux dispositions prévues par l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, telles qu’issues de la loi n° 99-585 du 12 juillet 1999 (aux termes de l’article 6 septies de l’ordonnance précitée, « les délégations parlementaires aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes peuvent être saisies sur les projets ou propositions de loi par : le bureau de l’une ou l’autre assemblée, soit à son initiative, soit à la demande d’un président de groupe ; une commission permanente ou spéciale, à son initiative ou sur demande de la délégation. Conformément à ces dispositions, la présidente Catherine Coutelle a adressé un courrier pour solliciter la saisine de la délégation à M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission saisie au fond sur ce projet de loi). Le présent rapport a ainsi un double objet :
– au titre des activités législatives de la délégation : l’examen pour avis du projet de loi pour une République numérique (n° 3318), qui a été adopté en Conseil des ministres le 9 décembre 2015, et plus particulièrement certaines dispositions sur le droit au maintien de la connexion pour les personnes en situation financière difficile, le renforcement de l’ouverture des données publiques (open data) et le droit à l’effacement des données en faveur de personnes mineures (droit à l’oubli) ;
– au titre de ses missions d’information et d’évaluation des politiques publiques (l’article 6 septies précité dispose ainsi que les délégations parlementaires aux droits des femmes « ont pour mission d’informer les assemblées de la politique suivie par le Gouvernement au regard de ses conséquences sur les droits des femmes et sur l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. En ce domaine, elles assurent le suivi de l’application des lois. ») : les travaux thématique sur les femmes et le numérique se sont organisés autour de deux grandes problématiques : l’éducation, l’insertion et l’emploi des femmes, d’une part, leurs droits et libertés à l’ère du numérique, d’autre part. Chacune d’entre elles aurait d’ailleurs pu faire l’objet d’un rapport à part entière, tant les thématiques évoquées sont amples et diverses. Le CNNum a ainsi été saisi en décembre 2014 d’une étude sur la transformation numérique, l’emploi et le travail, qui doit être publiée au début 2016, tandis que la Commission de réflexion de l’Assemblée nationale sur le droit et les libertés à l’âge du numérique, dont le rapport a été publié en octobre 2015, a mené des travaux approfondis pendant un an sur ces questions particulièrement complexes.
La Délégation aux droits des femmes a entendu une quinzaine de personnes, dont la liste figure en annexe n° 1 du présent rapport, au cours de huit séances d’auditions, qui ont essentiellement eu lieu en octobre et
novembre 2015 (à l’exception de deux auditions organisées en juin 2015. Les comptes rendus sont présentés en annexe), parallèlement aux autres travaux menés par la délégation, notamment sur le projet de loi de finances pour 2016, sur les femmes et le dérèglement climatique et sur l’égalité femmes-hommes à Mayotte.
Ces auditions ont permis d’entendre des points de vue très complémentaires, avec des interventions de grande qualité de représentantes d’associations, telles que Duchess France, Girlz in Web et le Centre Hubertine Auclert, des avocat.e.s, membres du CNNum, etc. La secrétaire d’État chargée du numérique, Mme Axelle Lemaire, a aussi été entendue pour conclure ces travaux.
En outre, la rapporteure a effectué deux déplacements de terrain – à l’École 42, fondée par M. Xavier Niel à Paris, ainsi qu’à l’école Simplon, à Montreuil – et s’est entretenue également avec Mme Catherine Bechetti-Bizot, inspectrice générale de l’éducation nationale et précédemment directrice du numérique pour l’éducation au ministère.
Par ailleurs, la rapporteure a souhaité recueillir des éléments d’information complémentaires, en adressant :
– un questionnaire à la ministre de la justice concernant les cyberviolences, et en particulier certaines dispositions du code pénal et du code civil relatives aux atteintes à la vie privée et au droit à l’image ;
– un questionnaire aux ambassadeurs de France dans sept pays (Australie, Canada, États-Unis, Israël, Japon, Nouvelle-Zélande et Royaume-Uni) qui avaient été évoqués au cours des travaux de la délégation, sur les « vengeances pornographiques » et autres cyberviolences, et dont les réponses sont présentées en annexe n° 3 du présent rapport.
La délégation a examiné le présent rapport au cours de sa réunion du 15 décembre 2015. Celui-ci porte sur l’éducation et l’impact de la révolution numérique sur l’insertion et l’emploi des femmes (première partie), ainsi que sur leurs droits et libertés à l’ère du numérique (seconde partie), concernant en particulier les cyberactivismes féministes mais aussi le sexisme et les violences en ligne, en formulant 18 recommandations pour promouvoir « l’égalité 3.0 », dont la liste est présentée ci-après.
Que l’ensemble des personnes entendues par la délégation et par la rapporteure, le ministère de la justice ainsi que les ambassadrices et les ambassadeurs de France au Canada, en Israël, en Nouvelle-Zélande et au
Royaume-Uni soient ici remercié.e.s pour leur contribution précieuse aux travaux de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.